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mon cheminement en soins infirmiers

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leçon de stage

En stage à l’urgence, j’ai rencontré N., une infirmière de 40 ans qui travaille depuis des années à l’urgence de Maisonneuve, via les services d’une agence. Elle est employée dans un autre hôpital montréalais où elle travaille 5 jours sur 2 semaines (ce qu’on appelle familièrement « 5/quinzaine, même si 2 semaines c’est 14 jours!), incluant la fameuse fin de semaine sur 2, et elle donne des disponibilités à son agence pour travailler 6 jours de 16 heures à Maisonneuve. Six jours de seize heures!!!! En chiffres ou en lettres, c’est une donnée insensée. Au total, elle travaille donc 11 jours sur 14, mais pour un total hallucinant de 18 quarts de travail!!! Elle commence à 8h pour terminer à minuit et reprendre le lendemain matin. En calculant 2 heures pour manger, laver ses uniformes et se déplacer (ce qui est quand même conservateur comme chiffres …), il lui reste un bon 4 heures de sommeil pour les journées où elle travaille.

Quand je lui demande si elle n’a pas peur de faire une erreur ou de laisser passer quelque chose pendant les dernières heures de son « double », elle me dit qu’elle accroît sa vigilance pendant le 2e quart. Quand je lui demande pourquoi elle travaille autant, elle me répond que son mari est médecin et lui-même souvent absent et qu’elle aime beaucoup son travail.  Quand je lui demande pour combien de temps elle compte travailler autant, elle admet, l’air gêné, qu’elle se dit toujours que ce ne sera plus que pour quelques mois mais cela fait quatre ans qu’elle tient ce rythme. Au-delà de la prise de conscience de l’extrême fragilité d’un système qui repose sur les épaules de la folie d’infirmières et de médecins prêts à travailler 70 ou 80 heures par semaine,  mon esprit a continué à ressasser  cette discussion que nous avons eue à voix basse,  dans la pénombre du corridor de l’urgence, assises sur des chaises pliantes entre deux civières.

Je pense que le travail d’infirmière peut être passionnant. Déjà en stage, les heures filent et on ne s’ennuie jamais. On apprend tous les jours de nouvelles choses, c’est un métier stimulant intellectuellement, enrichissant psychologiquement et exigeant physiquement. Mais il me semble qu’on a une vie bien triste quand on n’a que notre travail pour la remplir. Il me semble aussi que tout le reste, les amis, les voyages, la nature, les sorties, les lectures, les rencontres, le cinéma, l’amour, le sport, tout ce que l’on vit en dehors de notre travail nourrit notre humanité et participe à faire de nous des soignants en mesure de survivre à la souffrance que nous côtoyons tous les jours, sans trop nous user, nous blesser nous-mêmes.  Et par le biais de cette rencontre avec N., la grande leçon de mon stage à l’urgence m’apparaît déjà limpide: ne pas se laisser avaler tout rond par le travail, ne pas se laisser dévorer par le stress, ne pas se laisser tenter par l’avidité, ne pas oublier ce qui est vraiment important, ne pas me laisser emporter par le courant trop fort, ne pas abandonner ma vie.

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